Vers une université unique à Strasbourg
Mardi 26 février 2008, les membres des conseils des universités Louis-Pasteur, Marc-Bloch et Robert-Schumann ont adopté à une large majorité le projet de création d'une université unique à Strasbourg. Retour sur le chemin parcouru.
Le contrat quadriennal 2001-2004 publié en novembre 2001 portait déjà très clairement l'ambition d'intensifier la collaboration entre les trois universités de Strasbourg : « Ce contrat est marqué par une volonté forte de mutualisation qui se traduit par la place importante consacrée aux opérations inter universitaires (réseau informatique, pôle multimédia, services inter-universitaires, Spiral) contribuant, dans le respect de l'identité des trois établissements, à conférer au site l'image fédératrice d'une grande université strasbourgeoise. » Quelques semaines plus tôt, le 2 octobre 2001, les présidents des universités strasbourgeoises MM. Jean-Yves Mérindol, Daniel Payot et Christian Mestre évoquent pour la première fois l'idée d'une fusion de leurs établissements à l'occasion d'une conférence de presse commune au Pôle universitaire européen « Nous ne lançons pas le chantier mais nous annonçons une tendance » précisent-ils à l'époque. Cette annonce publique plaça le concept même de fusion dans une possible réalité future. « Le Pôle, lieu de rencontre privilégié entre les trois présidents et le recteur de l'académie, chancelier des universités, s'est révélé être une excellente base de départ à ce projet, explique Claude Lambert, ancien recteur de l'académie de Strasbourg, dont l'un des objectifs était de proposer une ouverture encore plus grande à l'international. »
Bernard Carrière, président de l'Université Louis-Pasteur (ULP) de 2002 à 2007, se souvient : « Lorsque que les présidents ont évoqué la perspective d'un rapprochement des trois universités comme une ambition portée par nos institutions, j'ai été d'emblée favorable tout en mesurant les difficultés que l'on aurait à surmonter, en particulier celles liées à des différences de culture et donc d'organisation et de fonctionnement internes aux universités. » Pourtant, après cette annonce, les avis sont assez partagés. « Je me souviens qu'à l'époque, le projet me paraissait flou. Plusieurs collègues l'ont assez mal ressenti. Cela générait beaucoup de questions, confie François-Xavier Cuche président de l'Université Marc-Bloch (UMB) de 2002 à 2007. Mais les liens se sont renforcés très vite entre les trois universités. Les présidents avaient pris l'habitude de se réunir une fois par mois. Nous avons continué sur cette voie et avons intensifié les contacts en intégrant les différents vice présidents et les secrétaires généraux à ces réunions. Nous avons connu en 2002-2003 une très forte accélération dans nos échanges. Nous souhaitions construire des projets ensemble, par exemple la création de la Conférence des présidents des universités de Strasbourg (CPUS), la CPU d'Alsace (CPUA) et l'Université numérique en région Alsace (UNERA). »
Deux épisodes majeurs ont renforcé l'idée qu'une université unique était une opportunité à ne pas manquer : la préparation du contrat de plan quadriennal 2005-2008 des universités et la réforme LMD. Dès l'automne 2002, les bases du quadriennal inter universitaire sont jetées. Là encore, la remarquable entente entre les présidents a été un facteur déterminant. Ils souhaitaient que les quatre universités alsaciennes aient des systèmes aussi compatibles que possible, des masters communs, etc. « La préparation du quadriennal 2005-2008 a été l'occasion de renforcer notre collaboration, ajoute François-Xavier Cuche. L'aspect inter-universitaire était beaucoup plus fort qu'auparavant. Nous avons en particulier ajouté la phrase suivante dans les contrats adoptés par les conseils des trois universités « Nous travaillons dans la perspective d'une université unique à Strasbourg. » Bernard Carrière rappelle que « dès le départ, le mot de fusion n'était pas le plus adéquat car il traduisait imparfaitement que nous souhaitions créer une nouvelle université. Il ne s'agissait pas non plus d'aller vers un regroupement fédératif qui conserverait l'identité et l'autonomie des trois universités. L'objectif était de jouer pleinement la pluridisciplinarité. Seul le regroupement au sein d'une seule université permettrait d'en tirer le meilleur parti, tant pour l'enseignement que pour la recherche. Je considérais comme essentiel de ne pas retomber dans les périmètres existants. »
L'université de Haute Alsace qui n'a pas adhéré au projet initial d'un Pôle de recherche et d'enseignement supérieur (PRES) « Alsace », préfigurant l'Université d'Alsace, devrait retrouver l'Université de Strasbourg dans un PRES, de caractère transfrontalier, qui associerait toutes les universités de la Confédération européenne des universités du Rhin supérieur (EUCOR), donc les universités de Bâle, Fribourg et Karlsruhe à côté des universités alsaciennes. Ce projet reste à finaliser.
La réforme LMD, opérationnelle à la rentrée 2005, a été le moment privilégié d'une construction commune entre les trois universités. Elle a contribué à créer dans les mentalités un élément fort qui favorisa la mise en oeuvre de la réflexion sur le projet d'une université unique. « LMD a été le parfait catalyseur car il a favorisé les rencontres. Nous sommes passés d'un état de cloisonnement anormal à l'assurance que nous pouvions faire de bonnes choses ensemble » remarque Bernard Carrière. Un autre élément favorable de la réforme LMD tient à sa nature même. En effet, en mettant en jeu des cursus européens, elle a beaucoup joué en faveur du rapprochement des trois universités. « Lorsque l'on occupe la place de président, il est sans doute plus facile d'être convaincu de l'intérêt d'un regroupement pour décider ensemble d'une politique universitaire à l'échelle européenne. La compétition est forte, nous la ressentons vivement et « penser Europe » devenait urgent ! indique François-Xavier Cuche. Par ailleurs, je me suis aperçu que le système français était assez illisible pour les étrangers. Des universités, des écoles d'ingénieurs, de la recherche partout, des universités spécialisées alors qu'elles sont généralistes dans le reste du monde... » Conscients de leur complémentarité, les trois universités de Strasbourg vont à un rythme soutenu vers une université unique qui accueillera environ 45 000 étudiants. L'université de Strasbourg aura donc une taille « ordinaire » à l'échelle européenne mais c'est son offre de formation, sa recherche et son organisation qui doivent « faire de Strasbourg un site universitaire européen de référence ».
Les années 2003-2004 ont été charnières. Le rapprochement était devenu évident pour toutes les équipes dirigeantes. Certes des conflits et d'importantes différences culturelles sont apparus, un énorme travail restait à faire pour démêler les complications administratives dues à l'adoption d'un cadre unique, mais l'intérêt de travailler ensemble était acquis. Il fut convenu que le contrat quadriennal 2009-2012 serait le premier de l'université unique. A l'automne 2005, les congrès des trois universités adoptèrent à une large majorité leurs contrats 2005-2008, chacun mentionnant dans leur préambule la création de l'Université de Strasbourg. « La dernière partie de mon mandat a été de convaincre mes collègues de la nécessité de concevoir un quadriennal 2009-2012 commun aux trois établissements, portant création d'une université unique indique Bernard Carrière. Cela a été voté sans ambiguïté. Nous souhaitions un calendrier soutenu car notre environnement évolue très vite. Anticiper plutôt que subir. Je considérais, et l'actualité récente m'a renforcé dans cette conviction, qu'il ne fallait pas ici donner du temps au temps »
Après la phase de construction de l'offre LMD et la finalisation du contrat 2005-2008, ce n'est qu'au printemps 2006 que des groupes de réflexion ont été mis en place afin de commencer le travail proprement dit d'élaboration du projet d'université unique. La crise générée par le Contrat première embauche (CPE) a ralenti la marche du projet mais la relance du processus en juin 2006 fut suffisamment forte pour permettre la finalisation du premier projet d'établissement de l'Université de Strasbourg, au début de l'année 2008. Beaucoup de réunions eurent lieu, des groupes spécialisés se sont créés, des centaines de personnes des trois universités ont travaillé ensemble pour faire avancer le projet.
« A la rentrée 2006, je n'ai noté aucune mobilisation particulière pour ou contre le projet de réunion des trois universités. Ni opposition, ni enthousiasme, note François-Xavier Cuche. La quasi totalité des élus étaient convaincus. Quant aux étudiants, il est difficile de savoir ce qu'ils pensaient mais je pense qu'ils étaient majoritairement favorables. Nous nous sommes engagés à fond et je dois dire que j'ai été étonné de voir que l'on avançait si vite. Les conseils ont immédiatement lancé la réflexion pour répondre à la question : de quelle université voulons-nous ? » S'il n'y avait pas d'oppositions, de nombreuses inquiétudes se sont exprimées. Avec une réorganisation de cette ampleur, des habitudes vont changer, le système ne pourra garder tous les avantages de tout le monde sans quelques inconvénients... « Le principe voté a été celui-ci : garder la situation la plus favorable. C'est assez complexe car si l'Université Louis-Pasteur a en moyenne plus d'avantages, cela n'est pas vrai si on regarde dans les détails » précise François-Xavier Cuche. Beaucoup de travail en perspective : inventaires de chaque système, analyse, synthèse, choix...
MM. Carrière et Cuche concluent d'une même voix : « Pour nous, il est évident que l'université unique doit se faire sans réductions de crédits ou de postes. Si des synergies se dégagent grâce à cette nouvelle organisation, de nouveaux moyens seront déployés vers des missions dévolues à l'université mais non suffisamment couvertes actuellement, en particulier vers les étudiants. Par ailleurs, l'Université de Strasbourg est dans une perspective de développement, elle aura de nouveaux besoins auxquels devront être affectés des moyens adéquats. L'Université de Strasbourg doit mieux répondre aux attentes scientifiques, culturelles et pédagogiques de notre temps que n'auraient pu le faire les trois universités séparées. Nous sommes optimistes et impatients ! »